En quelques années, la joggeuse assassinée est devenue une figure journalistique incontournable - le visage respectable et intégré des féminicides. Loin de chez elle, en tenue de sport, à l'aube ou au crépuscule : si les circonstances de sa disparition captivent, c'est qu'elle donne corps, pour celles qui peuvent y aspirer, à la promesse d'un foyer protecteur. À chacun de ces drames s'écrit une nécrologie punitive, qui substitue à l'assassinat d'une femme - le plus souvent par un proche - les conséquences d'une transgression. Pour la majorité, le fait divers vaut avertissement. « via crucis feminae currentis » explore cet imaginaire public et médiatique dans ses théâtres matériels : à la lumière d'une torche, le parcours sportif Daumesnil est éclaté puis reconstruit en mosaïques numériques. Le mobilier urbain se fait expressionniste, les sous-bois deviennent espace fantasmatique – décor d'un conte voyeur et cruel, mais dont la captation épuise les présupposés. Ses aspérités logicielles en sont autant de dissonances.